Mots-clés : constructivisme, psychologie, cultures, contextes culturels, pratiques sociales et culturelles, transmission sociale et culturelle, cognition, enaction, connaissances, développement cognitif, enfants d'âges préscolaire et scolaire.

jeudi 1 septembre 2011

Examen psychologique

Certaines expériences collectives sont particulièrement stimulantes. C'est notamment le cas lorsqu'on a le sentiment de servir à quelque chose de constructif. Ma participation au processus de Conférence de Consensus en psychologie --le premier du genre, en France-- est une expérience de ce type. Un ouvrage coordonné par Robert Voyazopoulos, Louis-Adrien Eynard et Léonard Vannetzel, qui retrace l'ensemble de ce processus, vient de paraître chez Dunod. Il devrait intéresser tous les praticiens francophones de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent. Ci-joint aussi la version définitive, c'est-à-dire celle qui a reçu l’accord des membres du Jury et des associations qui ont accompagné le processus, du Texte de synthèse du Jury, intitulé Recommandations pour la Pratique de l’Examen psychologique et l’utilisation des mesures en psychologie de l’enfant.

A propos du QI, le reportage de France 5 intitulé QI: histoire d'une imposture est à voir! 

Dans le cadre de ce processus, j'ai eu le plaisir de coordonner, avec Roland Ramzi Geadah, le groupe d'experts qui a travaillé sur le thème des Aspects interculturels de l'examen psychologique de l'enfant. En soi, ce groupe était lui-même "interculturel" puisqu'il regroupait des psychologues d'orientations théoriques et cliniques très différentes! Toutefois, nous sommes rapidement tous tombés d'accord pour reconnaître que la façon "française" dont on évalue les caractéristiques psychologiques d'un enfant originaire d'autres pays ou d'autres cultures risque d'être à l'origine de graves erreurs de diagnostic. Ces erreurs proviennent du fait que des différences de cultures sont prises pour des différences de "niveau" psychologique: niveau normal versus niveau déficient, voire pathologique (parce que différent de ce qui est attendu par les psychologues). 

Il s’avère que différentes procédures, déjà bien connues, peuvent être mises en œuvre afin de réduire les biais culturels de l’évaluation psychologique d’enfants et d'adolescents. Cependant, elles apparaissent être "illusoires" – lorsqu'il s’agit de produire des tests indépendants des contextes culturels, car cela n'existe pas... – ou bien "irréalistes" – s’il s’agit de produire des tests pour chaque contexte culturel particulier, car on ne finirait plus d'en produire... –. Une autre possibilité, elle-aussi déjà bien connue et défendue par le groupe d'experts n°6, réside dans une évaluation dite "dynamique", fondée sur le potentiel d'apprentissage dont dispose tout être humain normalement développé. Sous une forme minimale, elle consiste en un "test" puis une phase d'"apprentissage" et enfin au moins un "retest". Ainsi, des enfants peu ou pas familiarisés avec la situation "classique" d’évaluation psychologique (le "test"), du fait d’un développement dans un contexte socioculturel particulier, peuvent y présenter un niveau de performance (apparemment) "déficitaire". Mais, étant d’intelligence normale, ils peuvent tirer bénéfice de l’apprentissage et présenter alors au(x) retest(s) qui suivent un niveau "normal" de performances. Si tel n'est pas le cas, bien sûr, une investigation complémentaire est alors nécessaire.

lundi 1 août 2011

Cross-Cultural Psychology

A l'occasion d'un séjour à Toulouse, Pierre Dasen m'a très gentiment offert la troisième édition de l'ouvrage intitulé Cross-Cultural Psychology. Research and Applications, publiée en 2011, par Cambridge University Press (CUP). L'ouvrage a été rédigé par John Berry, Ype Poortinga, Seger Breugelmans, Athanasios Chasiotis et David Sam. Il s'agit d'une nouvelle version d'un ouvrage qui porte le même titre et qui a été rédigé par John Berry, Ype Poortinga, Marshall Segall et Pierre Dasen. La première édition date de 1992, la deuxième de 2002.

Les quatre auteurs, que j'ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois et qui ont largement contribué à développer la psychologie (inter)culturelle (ou cross-cultural psychology) dans le monde, défendent un universalisme "modéré" des caractéristiques psychologiques humaines. Cette "attitude" idéologique s'oppose à celle de l'universalisme "absolu" qui postule que le psychisme est strictement identique pour tous les êtres humains, et à celle du relativisme culturel "radical" qui postule inversement que le psychisme des hommes varie considérablement, parfois même de façon "incommensurable", en fonction des contextes historiques, sociaux et culturels. Selon les quatre auteurs, si les fondements du psychisme humain sont universels, le développement de chaque individu dans un environnement donné, les "façonne" en "styles" qui varient de façon plus ou moins importante, selon les moments de l'histoire et selon les cultures.

Bien que ces trois éditions de Cross-Cultural Psychology. Research and Applications soient en anglais, elles sont "incontournables" lorsqu'on souhaite acquérir les bases théoriques et méthodologiques de l'étude scientifique de la relation entre la culture et le psychisme. Je ne peux qu'en recommander la lecture! Voir la deuxième édition (2002) et la troisième édition (2011).

vendredi 1 juillet 2011

Psychologies & Cultures

La coordination d’un ouvrage collectif est, au minimum, une aventure intellectuelle et humaine. Celle de l’ouvrage Psychologies et Cultures qui vient de paraître aux Éditions L’Harmattan, a été, en plus, une expérience interculturelle passionnante. Cet ouvrage réunit les versions écrites des différentes conférences invitées du XXXI Symposium de l’Association de Psychologie Scientifique de Langue Française (APSLF), présidée par Agnès Florin (Université de Nantes), qui a eu lieu, en collaboration avec la Société Tunisienne de Psychologie (STP), les 24 et 25 septembre 2009, à Gammarth, près de Tunis (Tunisie).

Plusieurs auteurs français ont participé à l'ouvrage. Michel Fayol (Université de Clermont-Ferrand) rend compte des recherches relatives à l'acquisition du nombre, Colette Sabatier (Université Bordeaux 2) traite de la socialisation des adolescents en situation d'immigration, et Bertrand Troadec (Université Toulouse 2) explicite les relations entre la cognition (individuelle) et la culture (collective) d'un point de vue naturaliste. Mais l’ouvrage réunit aussi d'autres auteurs, venant d'ailleurs. Ainsi, Patricia Greenfield (Université de Californie, USA) y présente une théorie originale qui rend compte de l’effet que le changement historique des sociétés peut avoir sur le développement social et cognitif des individus. Yvan Leanza (Université Laval, Canada) réalise une revue « internationale », surtout occidentale, des conceptions de la psychothérapie lorsque celle-ci intègre les facteurs culturels. Benaissa Zarhbouch (Université de Fès, Maroc) présente la situation de la psychologie cognitive contemporaine au Maroc, puis quelques recherches qu’il a réalisées auprès d’enfants marocains d’âge scolaire. Enfin, Michèle Belajouza et Tarek Bellaj (Université de Tunis, Tunisie) exposent des recherches réalisées en Tunisie, respectivement, au sujet de l’acquisition de la langue écrite et des nombres, et au sujet de l’évaluation psychométrique, notamment d’enfants d’âge scolaire.

Tarek Bellaj et moi-même, qui avons coordonné l’ensemble des chapitres et préparé l’ouvrage en vue de sa publication, espérons qu’il intéressera tous ceux qui le liront.

mardi 1 mars 2011

Cadres de référence

Il n'est pas très facile de mettre en évidence un "processus psychologique" dont certaines caractéristiques varient selon les cultures. La représentation que l'on se fait de l'"espace" est un bon exemple. On sait depuis longtemps qu'il existe plusieurs façons de décrire oralement les relations spatiales pouvant exister entre deux objets dans un espace "proche" (Levinson, 2003). Ainsi, dans la photo ci-après (Courrèges et Troadec, 2009), ces relations peuvent être décrites, en français, comme suit:
 
  • Le crayon à papier est à droite du personnage (le cadre de référence est centré sur soi);
  • Le crayon à papier est devant le personnage (le cadre de référence est centré sur l'objet);
  • Le crayon à papier est au sud du personnage (le cadre de référence est centré sur l'environnement).
Si les deux premières descriptions sont familières aux langues et cultures occidentales, la troisième ne l'est pas. Elle est pourtant fréquente dans d'autres langues et cultures du monde. On peut conseiller, outre les nombreux travaux de Levinson et de ses collaborateurs, l'ouvrage récent de Dasen et Mishra (2010) qui présente les débats théoriques sur cette question et un ensemble de recherches originales, concernant notamment des enfants.

Pour illustrer rapidement comment cela se passe, voici trois dialogues d'enfants recueillis par des étudiants en psychologie de l'ISEPP à Papeete, en Polynésie française, où l'on sait que la culture et la langue polynésienne ont privilégié une représentation de l'espace centré sur l'environnement. L'un des enfants guide l'autre qui a les yeux bandés et doit effectuer un parcours de huit segments.

Exemple 1. Cadre de référence « centré sur soi ». Deux garçons, âgés de 9-10 ans (CM1), de culture française, nés en Métropole et résidant à Tahiti depuis 4 ans, observés dans le jardin d’une maison située en bord de mer.
Segment
Dialogue
1
Tout droit. Tout droit encore. Encore. Stop. Tourne.
2
Non. Tourne à droite [avec un geste de la main]. Non. Recule [avec un geste de la main]. Tourne sur place, mais pas un tour, hein. Non. Un tout petit peu. Tout droit. Stop [avec un geste de la main].
3
Tourne à droite. A droite [avec un geste de la main]. Tout droit. Tout droit. Non. Recule un peu. C’est bon. Tourne à droite [en se déplaçant]. Stop.
4
Tourne un peu à gauche, mais sur place. Voilà. Maintenant, tout droit. Non. Recule [en faisant un mouvement]. Tourne un peu à gauche [en se déplaçant]. Encore. Voilà. Tout droit. Tout droit. Tout droit. Encore. Stop.
Etc. Etc.

Exemple 2. Cadre de référence « centré sur l’environnement ». Deux garçons, âgés de 10 ans (CM2), d’origine polynésienne, observés sur une dalle de ciment, entre deux bâtiments, dont les toilettes, dans la cour de leur école, aux îles Marquises.
Segment
Dialogue
1
Tout droit. Stop.
2
Tourne vers tai [= mer]. Avance. Stop.
3
Vas vers le côté des toilettes. Tout droit. Stop.
4
Vers tai [= mer]. Tout droit [avec un geste de la main].
5
Côté maison. Avance. Stop.
6
Décale. Tourne-toi. Un petit pas tourné vers la montagne. Maintenant, avance à grands pas. Grands pas. Maintenant, un petit pas vers le côté du col de Aakapa [E1 rit en montrant la montagne du doigt].
7
Tourne vers tai. Avance. En vitesse ! Stop.
8
Côté maison. Avance. OK. Stop.

Exemple 3. Conflit de cadres de référence. Deux filles, âgées de 7-8 ans (CE1), l’une d’origine polynésienne (le guide), l’autre d’origine française (l’enfant guidée), observées dans une salle de classe de leur école, à Tahiti.
Segment
Dialogue
1
Viens là-devant. Par là. Tu suis la mer [E2 ne comprend pas et ne va pas dans la direction attendue]. T’es bête ? J’ai dit devant.
2
Vas à gauche [E2 va à droite]. Mais non, j’ai dit à gauche [en désignant sa gauche du doigt] [E2 dit : je suis allée à gauche]. Ben, l’autre côté. Encore. Encore. Voilà. Stop.
3
[…]
4
[…]
5
[…]
6
Tourne jusqu’à je te dis stop. Stop. Maintenant, tu suis la ligne et tu avances jusque quand je te dis stop. Stop.
7
Tourne-toi un petit peu à ta droite. Encore un petit peu. Voilà. Maintenant, tu avances tout droit.
8
Vas devant. Tu vas vers la mer [E2 dit : mais, je ne vois pas la mer !]. Ah oui, c’est vrai [rires…]. Ben, tourne encore un peu. Voilà, stop. Maintenant, tu afaro [= tu avances tout droit] jusqu’au bout [E2 dit : tu quoi ?] Aue ! Ben, tout droit.

mardi 1 février 2011

Ethnocentrisme



Voici un texte passionnant, et surtout provocant, qui mériterait l'attention de tout psychologue. La référence du texte est: Henrich, J., Heine, S., & Norenzayan, A. (2010). The weirdest people in the world? Behavioral and Brain Sciences, 33, 61-135. Ci-après, une présentation résumée de ce texte, publiée dans la revue Nature (2010).

La revue de la littérature, réalisée par les trois auteurs, a l'objectif de montrer que les sujets avec lesquels la plupart des recherches en psychologie sont faites, sont des "WEIRD people", c'est-à-dire des individus issus de sociétés occidentalisées, scolarisées, industrialisées, développées, démocratisées (people from Western, Educated, Industrialized, Rich, and Democratic, societies). Par exemple, une analyse de recherches, publiées entre 2003 et 2007 dans les "meilleures" revues de psychologie, montre que 96% des sujets de ces recherches sont occidentaux (68% sont étasuniens) et que 80% d'entre eux sont par ailleurs des étudiants de licence de psychologie!

Toutefois, si cela est quand même déjà connu, les auteurs montrent aussi que ces "WEIRD people" constituent la population la moins représentative de l'espèce humaine, considérée dans son ensemble. Or, sans que ce soit toujours explicite pour eux (mais, il y a quand même des exceptions), les psychologues infèrent fréquemment les résultats obtenus avec ces étudiants, ou bien avec ces "WEIRD people", à l'ensemble de l'humanité, c'est-à-dire l'espèce.

L'implicite provient du fait que la plupart des recherches en psychologie a comme objectif principal, non de parler des "gens" qui vivent quelque part, mais de parler de "processus psychologiques" qui sont conçus comme étant des "choses" générales et universelles. En effet, du point de vue de la psychologie, il est admis que l'évolution biologique a doté l'espèce humaine de processus psychologiques "de base" communs à tous. L'identification de ces processus fait encore l'objet de nombreuses discussions et controverses.

On ajoute qu'il n'y a pas que les sujets qui ont participé aux recherches publiées dans les revues de psychologie, considérées comme étant les "meilleures", qui sont principalement "WEIRD". Il y a aussi les tâches qu'on leur propose de résoudre et les psychologues eux-mêmes qui les interrogent.

L'article de Henrich, Heine et Norenzayan (2010), y compris les commentaires qui le suivent, est alors une très bonne introduction aux problèmes que la "psychologie" a avec les "cultures".

samedi 1 janvier 2011

Diversité culturelle

Pour commencer ce blog, il n'y a rien de mieux que la Déclaration Universelle de l'UNESCO sur la Diversité Culturelle, adoptée en 2001 (UNESCO, 2002), notamment son article 1:

"ARTICLE 1 - La diversité culturelle, patrimoine commun de l’humanité.
La culture prend des formes diverses à travers le temps et l’espace. Cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité. Source d’échanges, d’innovation et de créativité, la diversité culturelle est, pour le genre humain, aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures."

La diversité culturelle est une nécessité pour l'humanité. En cette époque de "mondialisation" ou de "globalisation", elle doit être raisonnablement valorisée. Ci-après le résumé de 40 pages du Rapport mondial de l'UNESCO (UNESCO, 2009), intitulé "Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel", puis le document en entier (446 pages).

Bonne année 2011!