Depuis de nombreux siècles, "les cultures se sont toujours observées mutuellement, mais en général nous, Occidentaux, n'avions connaissance que des observations que nous faisions sur les autres" (Eco, 2011, p. 9). Sans enlever à certains observateurs un "désir authentique" de comprendre les autres culturellement différents d'eux, Umberto Eco précise que l'anthropologie moderne a créé une "caste", écrit-il, d'observateurs Occidentaux qui s'estiment capables de comprendre les autres cultures (au sens "ethnique" du terme). En psychologie, la plupart des psychologues, de même que les psychologues dits culturels ou interculturels (dont je fais partie) s'estiment eux aussi capables de comprendre les autres, notamment leur psychisme.
Mais, il s'avère que les "autres" nous observent aussi!
Le projet de l'Institut International Transcultura a consisté à demander à des hommes de culture (au sens de "cultivés"), sinon à des universitaires, d'Afrique ou de Chine ou d'ailleurs, de venir en Europe pour décrire, de leur point de vue, "nos" sociétés. De nos jours, du fait de la mondialisation de l'information via les journaux, la radio, la télévision, les sites internet, etc., tout le monde est au courant des réalités de tout le monde. Il ne s'agit donc plus d'être confronté à l'étrangeté des autres, mais à leur différence ou diversité "au-delà des traits communs qui nous rattachent à l'espèce humaine" (Eco, 2011, p. 10).
La première phase d'anthropologie dite "alternative" a ainsi produit quelques résultats curieux, mais intéressants. Par exemple, "le conteur africain était frappé de stupéfaction de découvrir que les femmes françaises conduisaient à la laisse leurs chiens en promenade, ou stupéfait encore de voir comment les Européens, à la mer, se promenaient nus, chose qui pour un homme du continent noir révélait une absence totale de dignité" (Eco, 2011, p. 11).
On le comprend bien, il faut aller plus "loin" que ces observations des uns par les autres et vice-versa. L'anthropologie dite "réciproque" consiste alors à considérer "les uns et les autres comme des représentants de cultures diverses qui s'analysent face à face, ou montrent comment on peut réagir de façon différente devant les mêmes expériences" (Eco, 2011, p. 12). A propos du psychisme, de son organisation et de son fonctionnement (normal et pathologique), mais aussi de son développement par exemple chez l'enfant, on doit donc pouvoir envisager maintenant une psychologie réciproque.
Il existe déjà quelques exemples remarquables de "face à face" culturel de ce genre, c'est-à-dire de dialogue interculturel, et relatifs à l'esprit et à ses propriétés, c'est-à-dire à l'"objet" de la psychologie. L'ouvrage intitulé Passerelles (J. Hayward & F. Varela [Eds.], Albin Michel, 1995) présente une série d'Entretiens avec le Dalaï-Lama sur les sciences de l'esprit. Au cours de ces entretiens, les conceptions et les méthodes des sciences "occidentales" de l'esprit, dont la psychologie, et celles de la philosophie "orientale" bouddhiste sont mises face à face, permettant de discuter, voire de s'étonner, de ce qui leur est commun et différent.
"Se comprendre entre cultures diverses ne signifie pas évaluer ce qu'il en coûte à chacun pour arriver à être égaux, mais bien comprendre mutuellement ce qui nous sépare et accepter cette diversité" (Eco, 2011, p. 12).
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