Mots-clés : constructivisme, psychologie, cultures, contextes culturels, pratiques sociales et culturelles, transmission sociale et culturelle, cognition, enaction, connaissances, développement cognitif, enfants d'âges préscolaire et scolaire.

mercredi 1 février 2012

Dessiner selon sa culture?

Les psychologues utilisent fréquemment le dessin lorsqu'ils réalisent des évaluations psychologiques d'enfants. Pour eux, c'est un moyen commode de faire "parler" les enfants sans utiliser la langue orale ou bien écrite... Pour les plus célèbres, on trouve le dessin du bonhomme, celui de la maison, celui de l'arbre, celui de la famille, et celui du paysage. Il y a aussi des figures géométriques (par exemple, les célèbres figures de Rey) et pas seulement des dessins figuratifs. L'interprétation de ces dessins "révèlerait" alors des aspects de leur psychisme. Mais, que permettent vraiment de dire ces dessins, et objectivement, à propos des enfants qui les ont réalisés?

A ce sujet, Delphine Picard et René Baldy ont rédigé un article intitulé "Le dessin de l'enfant et son usage dans la pratique psychologique", à paraître dans la revue Développements. Je le conseille vivement à tous les psychologues qui utilisent le dessin dans leur pratique clinique. Les deux auteurs discutent de ce qui peut constituer un usage "raisonnable" du dessin dans l’évaluation psychologique de l’enfant. Selon eux, le dessin peut tout à fait être utilisé comme un outil « fiable » de l’évaluation de :
• La flexibilité cognitive (ou capacité à opérer des changements dans la façon habituelle de faire quelque chose pour répondre aux exigences d’une tâche d’innovation) ;
• La pensée divergente (ou pensée qui va dans différentes directions contrairement à la pensée convergente qui conduit à une solution unique et correcte) ;
• La compréhension des émotions par l'enfant.


En revanche, ils mettent en garde les praticiens contre un certain nombre d’idées reçues quant à l’usage clinique des dessins d’enfants :
• Le dessin serait le reflet direct d’une représentation mentale "interne" : non!
• Le dessin du bonhomme témoignerait de l’élaboration du schéma corporel : non!
• Le dessin, notamment celui des couleurs, serait une projection de l’état émotionnel de l’enfant : non!
• Le dessin serait universel et peu sensible aux variations historiques et culturelles : encore non!

Pour ce qui est du dessin de soi, c'est-à-dire du dessin du bonhomme, le très joli film Dessine-toi, réalisé par Gille Porte en 2011, est une excellente illustration, entre autres, de sa variabilité culturelle.


A propos de différences culturelles dans la production de dessins, un exemple intéressant est la recherche réalisée par Masuda, Gonzalez, Kwan et Nisbett (2008) qui montrent que les œuvres picturales traditionnelles en Asie sont centrées sur le contexte (la ligne d’horizon est haute et les personnages sont petits), alors que l’art occidental l’est sur l’objet (la ligne d’horizon est basse et les personnages sont grands). Ces caractéristiques sont retrouvées chez des sujets tout venant lorsqu’ils dessinent un paysage ou bien prennent la photo de quelqu’un. « Les Asiatiques paraissent plus sensibles au contexte dans les domaines de la représentation et de l’art que ne le sont les Occidentaux » (p. 1271). Dans les figures ci-dessus et ci-après (extraites de l'article, pages 1267 et 1268), bien que la consigne soit exactement la même, la photo et les dessins de gauche ont été réalisés par des étudiants étasuniens (USA), alors que la photo et les deux dessins de droite l'ont été par des étudiants japonais.